Enfance, Lecture, Plaisir de lire...
mardi 24 juin 2008
Mon enfance, dans
l’Algérie coloniale, s’est passée dans deux lieux. Mon père était
instituteur. L’année scolaire se déroulait dans un petit village de colonisation, dans la plaine de la Mitidja, non loin d’Alger. Mon père
était le seul instituteur algérien musulman, au milieu de
collègues français, la plupart débarqués récemment de la France
métropolitaine. Quand arrivaient les vacances scolaires, nous
retournions à la ville d’où est originaire toute ma famille
maternelle et paternelle ; c’est une des plus vieilles villes
d’Algérie, qui s’appelle Cherchell, qui s’appelait, dans l’antiquité,
Césarée, près de Tipasa, elle fut la capitale de la Maurétanie
Cesarienne pendant cinq siècles.
Dans cette cité, repeuplée au seizième
siècle par des familles de réfugiés andalous, toutes mes attaches
et les traditions des miens se trouvent là. Alors que, dans le
petit village de colonisation, nous étions isolés : la population
autochtone étant presque entièrement composée d’ouvriers dépossédés,
salariés dépendant de colons français très riches.
Lectures de jeunesse
J’ai quitté cette vie familiale à dix ans pour aller au collège de
Blida. Mon père était passionné d’histoire, pendant les longues
siestes d’été, je lisais ses collections sur La Révolution
française avec les portraits de tous les grands révolutionnaires de 89…
Sur le plan
littéraire, mon père aimait Anatole France, et naturellement les classiques
du XIX… Moi, ce qui m’a d’abord marquée, vers l’âge de 13 ans, à
la pension où j’étais à Blida (j’avais une amie mi-italienne,
mi-française et nous lisions énormément), ce fut un livre : La
Correspondance d’Alain Fournier et de Jacques Rivière. Deux jeunes
étudiants, à 18 ans, au début de ce siècle, découvraient Gide,
Claudel, puis Giraudoux… Grâce à ce livre, j’ai commencé, plus jeune que les
autres, à lire, à lire vraiment, à faire la différence entre les livres de littérature qui vous forment et, disons, les livres
pour enfants, livres d’aventures et de simple évasion…
Le plaisir de lire
A propos de livres d’enfant, je me souviens qu’à sept ans, je crois, en rapportant de l’école un livre d’Hector Malot, je pleurais à gros sanglots dans ma chambre et ma mère accourait affolée: or c’était le plaisir de pleurer à la lecture d’un livre sentimental! Ce fut mon premier souvenir de lecture… Mais ce qui a dû déterminer ma conscience vive et admirative de ce qu’est vraiment la littérature, ce fut le fait que 3 ans ou 4 ans à l’avance, je lisais des livres un peu complexes et dont la densité (ou la difficulté à les comprendre vraiment) me fascinait…
Peut-être que mon désir d’écrire est né à ce moment
là !...
J’ai eu d’ailleurs, un été de cette pré-adolescence, (à 13 ans, je crois) le projet d’écrire un roman pour pouvoir, l’ayant terminé et pensant l’envoyer en cachette à quelque éditeur, en faire simplement la surprise à mon père ! Projet puéril dont j’ai oublié le contenu, sauf que je ne pus terminer cette ébauche…
Assia Djebar
Speaking : An Interview with Assia Djebar
Edited by Kamal Salh
“International Journal of
Francophone Studies”, Vol. 2, No. 3, 1999
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